vendredi 9 mars 2012

L'invité du blog


La polémique des Guignols : pourquoi une telle réaction en Espagne ?
  
Par Aiora CONTRERAS et Daniel CHOLET 
   
« Les sportifs espagnols, ils ne gagnent pas par hasard ». Voici le premier et le plus polémique des sketches des Guignols de Canal+, celui qui a déchainé la colère et l’indignation des sportifs mais aussi d’une grande partie de la population espagnole.
Depuis la sanction infligée à Alberto Contador par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), jusqu’aux commentaires du Roi d’Espagne, en passant par les réactions du monde du sport espagnol, cette histoire a fait réagir de nombreuses personnes et couler beaucoup d’encre.
Mais, pourquoi une réaction aussi violente, pour une émission satirique connue et reconnue, même en Espagne ? Quelle est la principale raison de cette colère ? Peut-on dire que la réaction des Espagnols est excessive ? Et à qui tout cela a-t-il profité ?
Voici quelques éléments de réponse.
    
Pour voir notre premier article sur le sujet : http://sport-and-blog.blogspot.com/2012/02/medias_10.html 

Petits rappels des faits
    
  
Toute la polémique a commencé suite à la sanction infligée à Alberto Contador, le champion cycliste espagnol, accusé de dopage pendant le Tour de France en 2010 et qui a été suspendu pour deux ans par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Canal+ France a repris l’information en diffusant dans les Guignols quelques sketches sur le présumé dopage des sportifs espagnols.
Le premier sketch insinuait clairement que Rafael Nadal se dope. Il concluait par cette affirmation générale : « Les sportifs espagnols, ils ne gagnent pas par hasard ». Dans le sketch suivant, on y apercevait Iker Casillas, Pau Gasol et Rafael Nadal signant une pétition pour soutenir Contador avec des seringues, après qu’il ait été accusé de dopage. Enfin dans un autre numéro des Guignols, on découvrait les mêmes sportifs ibériques chanter une version originale de la chanson de Manolo Escobar « Viva España ». « J'ai 15 litres de sang dans le frigo, et Viva España! (...) Je roule avec du sang de taureau, et Viva España ! ».
   
La réaction espagnole : colère et indignation
Les réactions venant de l’autre coté des Pyrénées ne se sont pas faites attendre, et les prises de positions sur les réseaux sociaux ont explosé. Le monde du sport a réagi. Alberto Contador : «  le travail, le sacrifice et beaucoup d´entrainement ; c’est cela notre secret. », Sergio Ramos : « C’est un manque de respect pour le sport national. », ou encore Pau Gasol : « Notez que nos clefs de notre succès sont : talent, effort, persévérance et humilité ».
Le FC Séville a plutôt choisi une manière plus offensive de faire savoir son indignation. Les joueurs du club ont joué un match de championnat avec l’inscription suivante sur leur maillot : « France : liberté, égalité, supériorité ».
Des hommes politiques comme le Ministres de Affaires Etrangères ou le Ministre des Sport espagnol sont aussi montés au créneau. L’Espagne était en ébullition et a accordé beaucoup d’importance à ces fameux sketches, jusqu’au Roi Juan Carlos lui-même.
  
Un léger manque de second degré
Coté Français, et plus particulièrement à Canal+, surement très heureux de cet énorme coup de pub, on a déclaré que c’est : « une émission satirique qui, depuis 20 ans, caricature l’actualité française et internationale » et que les réactions étaient « disproportionnées ».
Ce communiqué résume assez bien la situation. Les gens en Espagne ont donné trop d´importance à ce sujet oubliant le caractère humoristique de ces images. On peut penser que si les Espagnols suivaient les Guignols de L’info régulièrement, ils se seraient rapidement rendu compte que les personnalités françaises sont les premières cibles de cette émission satirique, et que les sportif hexagonaux en prennent autant pour leur grade. Repensons au traitement fait à Jean Pierre Papin, Zinedine Zidane, Alain Bernard, et surtout Richard Virenque lors de leurs différentes apparitions.
D’un autre coté, comment qualifier l’initiative des joueurs et des dirigeants du FC Séville ? N’est-il pas plus grave d’opposer un sketch humoristique animé par des personnages en latex, à des personnes réelles modifiant la devise nationale française ? Cette initiative, au même titre que  la pétition lancée par les sportifs espagnols pour soutenir Contador, est démesurée. Heureusement, après quelques jours de polémique, certaines personnalités ont repris leur sang froid. Rafael Nadal, qui dans ses premières déclarations était apparu un peu irrité, a reconnu qu’il y avait accordé beaucoup trop d´importance.
Mais que penserait l’opinion espagnole si une personne ou un organisme français avait lui aussi « bafoué » un symbole national, comme leur drapeau ou leur souverain ?
  
Le sport en Espagne, une cause nationale
Une partie de l’explication est simplement que le sport en Espagne est une cause nationale. Les Espagnols sont très fiers et très orgueilleux de nature, bien plus que les Français. Et culturellement, le sport est un sujet très sérieux chez nos voisins. Les fans de sports en Espagne sont plus « afficionados » ou « socios » que spectateurs comme c’est souvent le cas en France. Leur relation au sport est plus forte. De plus, les récents succès sportifs ibères en tennis, football, ou basketball ont renforcé ce phénomène.
Ainsi, attaquer leur sport ou un de leur sportif revient à attaquer le pays et sa population, concept beaucoup moins fort en France. Pour une majorité des citoyens espagnols la France a donc bafoué un symbole national fort.
  
Pas le bon moment dans un pays sévèrement touché par la crise
L’état économique du pays est aussi une explication à cette réaction démesurée. En caricaturant le sport, les Guignols de l’Info ont touché la corde sensible de l’Espagne des années 2010. Alors que le pays accuse au début 2012 un chômage de prés de 23%, et que son moteur économique, la construction, est en récession, le sport espagnol est au sommet.
On ne le réalise pas suffisamment en France, mais la situation économique en Espagne est bien plus grave que dans notre pays, et la population est beaucoup plus durement touchée. Les plans de rigueur se multiplient et sont plus sévères, les entreprises licencient, et les manifestions sociales explosent. C’est pourquoi dans cette situation difficile, le triomphe de leurs sportifs représente un de leurs moments de liberté et de loisir, le sport étant un échappatoire et un vecteur de fierté nationale.
Ainsi, du point de vue de la population espagnole, les Guignols n’ont ni choisi le bon sujet, ni le bon moment pour faire ce sketch.
Mais quelle aurait été leur réaction si l’émission des Guignols de l’Info n’était pas française ? 
  
L’auteur de ce sketch : Los Gabachos
« Je me dope avec des stéroïdes et je suis heureux. La viande au clembutérol, j’adore la manger. Je suis sept fois plus rapide dans le Tour ! Oh…il parait que j´ai un moteur ! ». En lisant cette phrase on pourrait croire que les Guignols de l’Info on encore frappé. Hors ceci est tiré d’une émission de la chaine de télévisons Basque EITB, le 22 Octobre 2010. Ce jour là un membre de ce programme habillé comme Contador et sur une bicyclette chantait, en plus des phrases ci-dessus : « Si quelqu´un te surprend, dis que tu as mangé de la viande ! ». Cette fois là il n’y a eu aucune polémique. Les autres sportifs ne sont pas intervenus, les hommes politiques n’ont pas commenté l’information. Rien.
Or, on peut concevoir que ce qui a été dit dans cette émission est très similaire aux sketchs des Guignols. Si bien que l’on peut penser que dans la polémique actuelle, le sujet du sketch et le moment de diffusion ne sont pas les seules tentatives d’explication. L’identité de l’auteur est plus importante encore.
En effet, le fait que cette blague soit le fruit des voisins français, les « gabachos », amplifie la réaction de la population espagnole. Ceci vient du fait que pendant longtemps les Espagnols ont eu le sentiment que les Français les prenaient de haut. Aujourd’hui ce sentiment est bien moins répandu auprès des jeunes espagnols, notamment grâce à la construction de l’Europe (Programme Erasmus, Espace Schengen, Zone Euro, etc). Mais il y a trente ou quarante ans, ce sentiment était partagé par de nombreux ibères, et les personnes de cette génération le ressentent encore. Ainsi dans l’inconscient collectif des quarantenaires à quinquagénaires actuels, les Français se comportent ainsi. D’où un sentiment de méfiance envers eux, comme le prouve le surnom péjoratif qu’ils donnent aux français : « gabacho ».
Dans ce climat, on comprend qu’une blague venant de « gabachos », puisse être mal vue, a fortiori quand elle s’attaque à un symbole national, en période de crise économique.
  
A qui profite le crime ? Les médias et les politiques sont les grands gagnants
Au delà de la réaction des sportifs et de la population espagnole, on peut se demander qui tire profit de cette polémique.
Le gagnant le plus identifiable est bien sur Canal+. Grâce au buzz créé par les sportifs et les médias ibères, ils se sont offert un joli coup publicitaire à l’échelle européenne et à moindre frais.
On peut aussi considérer que les médias espagnols ont également bénéficié de cette polémique. D’une certaine manière ils l’ont prolongé et amplifié. Face à une telle opportunité de vendre du « papier », ils ne pouvaient pas passer à coté. L’occasion était trop belle : prendre la défense d’une cause nationale face au « gabachos », rien de mieux pour améliorer sa notoriété.
Mais il y a vraisemblablement un autre grand gagnant : le Gouvernement Espagnol. Il a profité de cette polémique pour éviter parler de sujets réellement importants pour la population espagnole comme le chômage, l’emploi, la perte de croissante, l’endettement national, la précarité étudiante, etc.
De plus, par ses prises de position démagogiques sur cette polémique, il a participé à rallumer en partie la flamme nationaliste, en trouvant un « ennemi commun » à tous les citoyens espagnols : « los gabachos ». Cette technique de communication politique vieille comme le monde qui consiste à flatter l’électorat aura donc détourné l’opinion publique des vrais sujets, grâce à des thèmes populistes.
Depuis plusieurs mois, le Gouvernement Espagnol utilise ce procédé.  En 2011, leur sujet préféré était le danger que représente l’ETA pour le pays, alors que les indépendantistes sont depuis longtemps dans un processus d’apaisement.
 
Conclusion
Les sportifs et la population ont cruellement manqué de second degré, mais le contexte économique difficile explique en partie cette réaction disproportionnée. Néanmoins, le comportement des médias et du gouvernement espagnol impose que l’on s’interroge sur la santé politique et sociale du pays.
  

2 commentaires:

  1. On leur en veut pas aux espagnols, ce sont nos amis. J'espère qu'on réglera cette affaire sur les terrains de sports, et pourquoi pas a l'Euro ?

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  2. bon, ben, un coup à l'eau ! Caramba, encore raté

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